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Elme-Marie Caro, La philosophie de Goethe.
Parmi les diverses théories de la nature que le dix-neuvième siècle a vues se produire, nous en avons rencontré une qui nous a retenu longtemps par la libre variété des idées dont elle se compose, par la hardiesse des travaux scientifiques et des œuvres poétiques qu’elle a inspirés, par l’éclat et la nouveauté des formes dont elle s’est revêtue, par le nom dont elle se recommande, un des plus grands noms du siècle, enfin par le prestige qu’elle a gardé sur l’imagination de nos contemporains. Nous avons pensé qu’il pourrait y avoir quelque intérêt à exposer cette théorie dans son ensemble, dans ses origines et ses manifestations variées.
Nous avons osé écrire un livre sur la Philosophie de Goethe. C’est qu’en effet, à mesure que l’on pénètre plus profondément dans l’étude de Goethe, on devient de plus en plus sensible à certaines impressions philosophiques qui, d’abord flottantes et vagues, se précisent à la fin et se déterminent. Nous nous garderons bien d’essayer de réduire ces impressions sous la loi d’une déduction rigoureuse. On chercherait inutilement dans les vues de Goethe quelque chose qui ressemblât à un système organisé, et lui-même nous détourne d’une tentative aussi vaine en se montrant à toute occasion ironique ou révolté contre la prétention dogmatique ; mais peut-on nier qu’il y ait chez lui un ensemble d’idées générales et de tendances d’esprit, un tempérament intellectuel qui, développé par la plus haute culture esthétique et scientifique, constitue, sinon une doctrine positive, du moins une nature philosophique des plus originales et des plus rares ?
La philosophie de Goethe dans ses libres inspirations nous révèle un des aspects les plus curieux de l’histoire des idées au dix-neuvième siècle. L’étude en est singulièrement facilitée aujourd’hui. Il y a eu dans ces derniers temps une recrudescence sensible dans la gloire de Goethe et comme une émulation de travaux importants autour de ce grand nom. Les biographies étendues et les commentaires qui abondent de plus en plus en Allemagne, l’histoire ample et copieuse de sa vie et de ses ouvrages, publiée à Londres en 1855 par Lewes, les traductions, les études qui se multiplient en France, les documents de tout genre qui s’y rattachent, tels que conversations, correspondances, les expositions lumineuses que des savants distingués ont consacrées à la partie scientifique de cette œuvre si vaste, tant d’informations exactes et variées mises à notre disposition dans ces derniers temps nous donnent quelque confiance dans le résultat des recherches que nous avons entreprises. On ne peut jamais dire, quand il s’agit d’un écrivain de cet ordre, qu’il ne reste aucune ombre sur sa pensée. Cependant, nous n’avons pas désespéré de faire pénétrer la lumière, aussi loin que cela peut être utile et même désirable, sur les sources diverses et sur le développement de cette philosophie, et nous estimons qu’il y a dans l’œuvre de Goethe une manifestation de pensée assez haute, assez puissante, pour mériter d’être étudiée à part et de prendre sa place à côté des grands systèmes que l’Allemagne a produits depuis soixante ans.